AprĂšs les « Interview your deck », j’ai dĂ©cidĂ© dâĂ©largir la cible pour aller Ă la rencontre de tarologues professionnels ou de simples passionnĂ©s. Lâobjectif est dâen savoir un peu plus sur leur personnalitĂ©, leur quotidien ainsi que leur pratique du Tarot.
Lâinterview se dĂ©compose en 3 parties :
1- Une interview classique : Le tarologue répond à des questions de présentation.
2- Une interview avec le Tarot : Ă travers un tirage, le Tarot prĂ©sentera le tarologue qui commentera les cartes. đ
3- LâinterviewĂ© donne son avis sur mon travail ! #TarotLEGOforever
RencontrĂ©e en atelier de pratique chez Emmanuelle Iger, j’ai tout de suite Ă©tĂ© conquise par son accent chantant le soleil d’Argentine, son franc-parler tout en pertinence et rondeur pour interprĂ©ter les tirages. Elle est drĂŽle, profonde et totalement ICONIC, j’ai nommĂ© l’incontournable Silvia !
DĂ©lectez-vous de cette interview riche et passionnante d’une ancienne psychanalyste qui nous partage son expĂ©rience sur l’utilisation du tarot.
Table des matiĂšres
1- INTERVIEW CLASSIQUE DE SILVIA
QUE FAIS-TU DANS LA VIE ?
Je suis nĂ©e Ă Buenos Aires, mais jâhabite Ă Paris depuis 38 ans. Alors si je dois te dire qui suis-je, je ne sais pas que rĂ©pondre. Il mâarrive de me sentir chez moi aussi bien ici que lĂ -bas mais, trop souvent, Ă©trangĂšre oĂč que je sois. Petite, je voulais ĂȘtre dĂ©tective ou archĂ©ologue. JâĂ©tais une gamine fascinĂ©e par tout ce qui est cachĂ©. Jâadorais chercher des pistes, des traces, dĂ©couvrir et trouver ! Au LycĂ©e, quand jâai fait connaissance avec lâInconscient (si je peux le dire ainsi) le choix dâĂȘtre psychologue mâest apparu comme une Ă©vidence. Mais, appartenant, du cĂŽtĂ© paternel, Ă une longue lignĂ©e des mĂ©decins, ma famille a refusĂ© catĂ©goriquement mon choix. Donc, Ă peine fĂȘtĂ© mes 23 ans, jâĂ©tais dĂ©jĂ mĂ©decin et trĂšs vite interne en Psychiatrie.
Et voilĂ que quelques annĂ©es plus tard, rebelote !! car en France, jâai Ă©tĂ© obligĂ©e de passer les Ă©quivalences de mon diplĂŽme de mĂ©decin, et ensuite Ă nouveau le concours dâinterne, de praticien, et jâen passe. Aujourdâhui, je remercie finalement mes parents car la MĂ©decine mâa apportĂ© de la rigueur, une immense capacitĂ© de travail et un contact assez prĂ©coce avec la maladie et la mort, ce qui mâa Ă©tĂ© trĂšs utile pour la suite de ma vie. Jâavoue aussi quelques bĂ©nĂ©fices collatĂ©raux, comme par exemple lâajout dâune note de sĂ©rieux Ă ma personne et le fameux CaducĂ©e, qui mâa Ă©pargnĂ© pas mal dâamendes.
Je me suis toujours donnĂ©e Ă fond dans mon boulot. Jâai Ă©tĂ© interne, assistante et praticienne hospitaliĂšre. Jâai Ă©tĂ© ethno-psychiatre travaillant dans des quartiers dits « sensibles ». Et jâai Ă©tĂ© psychanalyste, en Institution et dans mon Cabinet. Tu imagines la multiplicitĂ© de dispositifs de soins que jâai dĂ» Ă©prouver pour mâoccuper des troubles les plus variĂ©s. Lâaspect technique de ces dispositifs mâa toujours le plus intĂ©ressĂ©. Quâest ce qui soigne vraiment ? Car une chose câest la thĂ©orie et une autre la pratique. Tu sais, par exemple, que tu peux donner un antidĂ©presseur Ă un dĂ©primĂ© et que ça ne marche pas. On dit alors quâil sâagit dâune dĂ©pression rĂ©sistante. Mais pourquoi ? Pourquoi parfois ça marche, et parfois pas du tout, si en thĂ©orie ça devrait marcherâŠ.
De plus, mes origines contrastĂ©es, mes premiĂšres annĂ©es passĂ©es Ă Buenos Aires, ma pratique rĂ©guliĂšre de la danse â notamment du tango – mâont fait accorder une valeur aussi importante Ă lâaffect quâĂ la parole. Jâaime utiliser un rĂ©pertoire nourri de la sagesse populaire et de la culture artistique. Jâessaye dâĂȘtre en crĂ©ativitĂ© permanente, et lâhumour y trouve une place essentielle.
Par ailleurs, jâai formĂ© et conduit des groupes dâanalyse de pratiques auprĂšs dâinfirmiers, dâĂ©ducateurs, de psychologues, de mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes, dâassistantes maternelles, et plus derniĂšrement dâart-thĂ©rapeutesâŠ
Or, depuis cet Ă©tĂ©, jâai dĂ©cidĂ© de me battre en retraite. Jâai envie de savoir justement qui suis-je sans tout ça. Jâai envie dâĂȘtre disponible pour moi-mĂȘme et me laisser porter par la libertĂ©. Jâen ai eu marre de rester assise toute la journĂ©e avec la sensation de courir tout le temps. Marre de vivre dans une Ville avec un soleil trop timide pour ĂȘtre si chĂšre. Marre de parler tout le temps le français. Marre des Institutions et leur lot dâhypocrisies. Marre de ne pas avoir le temps pour des trucs tout simple. VoilĂ .
Raconte-nous ton histoire avec le Tarot
Câest une histoire marquĂ©e de pierres blanches qui ont fini par dessiner un chemin.
DĂ©jĂ petite, il y avait une femme qui venait visiter ma mĂšre toutes les semaines. Elle Ă©tait une ombre mystĂ©rieuse qui se glissait dans une piĂšce oĂč elles sâenfermaient, et il ne fallait surtout pas les dĂ©ranger. Elle sâappelait Esplendorosa. Splendide en français, câest joli non ? Sauf quâelle Ă©tait vieille et moche. Genre sorciĂšre qui fait peur.
Un jour, face Ă mon insistance, ma mĂšre mâa dit quâelle tirait les cartes, quâelle voyait lâavenir et lui donnait des conseils. Pour moi, elle Ă©tait une voleuse, telle une gitane qui prenait lâargent pour dire ce que ma mĂšre avait envie dâentendre. En grandissant, jâai fini par comprendre que cette femme Ă©tait sa confidente, un peu sa thĂ©rapeute, ou comme on dit aujourdâhui, son coach. Il faut dire que ma mĂšre Ă©tait chef dâentreprise et quâelle se trouvait rĂ©guliĂšrement dans des histoires abracadabrantes.
Culture locale oblige, jâai eu plus tard lâoccasion de me faire tirer les cartes, mais, Ă chaque fois, on mâa fait des prĂ©dictions sur le futur, et je nâaime pas ça. Je prĂ©fĂšre dĂ©couvrir sur la marche. Je dirais mĂȘme plus, je suis convaincue quâon construit sa vie. Dâailleurs, ces divinations ne se sont jamais confirmĂ©es. Jâattends toujours le fameux italien qui allait devenir lâhomme de ma vie⊠DĂ©jĂ Ă 62 ans, il nây pas eu LâHomme, lâunique, il y en a eu plusieurs et Ă chaque fois, Il a Ă©tĂ© LâHomme de ma vie !
Mon premier Tarot, je lâai achetĂ© dans le sud de la France. Jâavais 21 ans et, avec une copine, on avait pris un pass de train pour deux mois afin de connaĂźtre le plus possible dâendroits au moindre coĂ»t. Un jour, dans une gare du Sud, nous sommes tombĂ©es sur le Tarot de Marseille. Un petit coffret avec une manuel dâinstructions Ă lâintĂ©rieur. Chouette ! On allait profiter de tous ces trajets ferroviaires pour nous initier Ă la divination ! TrĂšs vite, nous avons pris la mesure dâune telle entreprise et nous avons laissĂ© tomber. Trop difficile, compliquĂ©, hermĂ©tique. Surtout, je peux avouer aujourdâhui que ces cartes Ă©taient devenues, pour moi, des objets actifs, dangereux Ă manipuler. Comme si les personnages dessinĂ©s avaient une vie propre, secrĂšte, que je ne pouvais pas dĂ©ranger sauvagement sans quâils ne se retournent contre moi. Ah la nĂ©vrose !
Ensuite, quand jâai pris la dĂ©cision de quitter mon pays pour mâinstaller Ă Paris, sans trop savoir pourquoi, jâai dĂ©cidĂ© de me faire tirer les cartes. Encore aujourd’hui, je dĂ©teste cette tarologue anonyme. Pas Splendide du tout ! JâĂ©tais allĂ©e chercher des encouragements, des outils censĂ©s pouvoir mâaider dans mon aventure. Ella nâa eu que des mots durs. Elle mâa dit que tout allait ĂȘtre trĂšs difficile. Maintenant que jâai appris Ă lire les cartes, jâessaye en vain dâimaginer le tirage quâelle aurait pu interprĂ©ter et je ne trouve pas. Je nâai jamais fait un tirage oĂč la conclusion puisse ĂȘtre aussi nĂ©gative. Il nây a eu ni aide, ni conseil. Pas la moitiĂ© de verre plein !
Ă 27 ans, en congĂ© maternitĂ© et donc chez moi, jâai sorti le fameux coffret et jâai dessinĂ© une Ă©norme carte du Mat. Copie fidĂšle, en grand format que jâai mĂȘme plastifiĂ©. Je ne savais pas pourquoi je faisais ça. Je nâai jamais su dessiner, donc jâai copiĂ©. Je nâai rien changĂ© aux proportions, aux couleurs, rien enlevĂ© ni ajoutĂ©. Ăa mâa pris plusieurs jours de concentration. Mon mari architecte dessinait des bĂątiments et moi, Ă son cĂŽtĂ©, le Fou. Jâavais peur dâĂȘtre folle, ce nâest pas pour rien quâon devient psy. Fabriquer cette carte a dĂ» conjurer quelque chose⊠Elle doit ĂȘtre encore dans la cave et maintenant que je me suis familiarisĂ©e avec elle, et surtout avec « ma folie », jâai envie dâaller la chercher, de la sortir de son long sommeil et de la regarder en face.
On arrive Ă 2017, jâai 60 ans et je subis une opĂ©ration en urgence pour une affection anodine, qui aurait pu me couter la vie si elle nâavait pas Ă©tĂ© identifiĂ©e et opĂ©rĂ©e Ă temps. JâĂ©tais Ă Buenos Aires et prĂȘte Ă rentrer, avec ma carte dâembarquement dâAir France en poche, quand jâai commencĂ© Ă ressentir des fortes douleurs abdominales. Aux urgences, le chirurgien me propose dâouvrir direct sans perte de temps avec des examens complĂ©mentaires. Moi, qui nâai jamais Ă©tĂ© malade, je mâattendais donc au pire. Une tumeur, des mĂ©tastases⊠Eh bien non ! CâĂ©tait simplement une obstruction intestinale par bride. Une bride Ă la suite dâune cĂ©sarienne qui se rĂ©veille 31 ans plus tard !!!! Dans ce lit dâhĂŽpital, jâai pu, assez vite, Ă©lucider ce qui me bridait dans ma vie Ă ce moment-lĂ ; cependant, il sâagit dâune autre histoire.
BercĂ©e par mes pensĂ©es, je me suis souvenue de quelque chose que mâavait dit la tarologue de ma mĂšre. Si lâitalien nâĂ©tait jamais arrivĂ©, elle avait aussi parlĂ© de ma santĂ©. Avec dĂ©sinvolture, elle avait proclamĂ© : « Tu ne seras jamais malade ! Je vois quelques hospitalisations, mais liĂ©es Ă la gynĂ©cologie et aux accouchements car ta santĂ© sera toujours excellente ! » Mais comment peut-on interprĂ©ter et dire un truc pareil ! Ăa, câest de la voyance ! Alors, elle a vraiment vu ? ou grĂące Ă sa suggestion, je nâai effectivement jamais Ă©tĂ© malade ? Trop fort ! Cette question reste ouverte. Effectivement, jamais malade, Ă lâexclusion de la cĂ©sarienne rĂ©alisĂ©e Ă la suite dâune erreur de lâobstĂ©tricien, et de la bride suite Ă la cĂ©sarienne.
Un mois et demi plus tard, de retour Ă Paris, je reprends aussitĂŽt mon travail de psychanalyste. Or, comme je suis quelquâun qui aime bouger, aller voir ailleurs et que mon mĂ©tier mâobligeait Ă rester assise jusquâĂ 12 heures par jour, je trouvais mon Ă©quilibre dans quelques activitĂ©s physiques, toutes interdites par le post-opĂ©ratoire. Il fallait que je trouve un truc. Que pouvais-je faire tout en restant assise ?
Le Tarot nâa pas tardĂ© Ă se prĂ©senter Ă mon esprit. Cette fois, je nâavais plus peur, je me sentais solide, en paix, prĂȘte ! Jâai regardĂ© alors tous les sites de tarologues parisiens Ă la recherche dâun MaĂźtre. Une grande majoritĂ© mâa semblĂ© trop Ă©sotĂ©rique pour moi. Trop flous, pas de rigueur dans leurs propositions, trop tape Ă lâĆil ou trop mystĂ©rieux⊠Jusquâau moment oĂč je suis tombĂ©e sur le site dâEmmanuelle Iger. Elle avait lâair jeune et dynamique, son site Ă©tait bien construit, clair, beau, facile Ă utiliser et, surtout , jâai dĂ©couvert lâexistence du Tarot psychologique ! Je me suis inscrite direct Ă un stage dâinitiation.
DâemblĂ©e, je me suis sentie trĂšs libre. Je nâavais rien Ă dĂ©montrer. Emmanuelle Ă©tait dâune clartĂ© incroyable. AprĂšs une introduction sur lâhistoire du tarot, elle nous a prĂ©sentĂ©, avec pas mal dâhumour, les Majeurs comme une suite naturelle, dans un in-crescendo qui mâest apparu dâune logique impeccable. Un chemin quasi initiatique, qui va du Mat au Monde et qui a toute de suite fait Ă©cho en moi avec dâautres cosmogonies qui mâĂ©taient familiĂšres. TrĂšs vite, jâai trouvĂ© que ces fameux personnages Ă priori Ă©nigmatiques, voire dangereux, je les connaissais en fait depuis longtemps sous dâautres figures. Quâils me soient prĂ©sentĂ©s officiellement par une connaisseuse a lĂ©gitimĂ© le fait que je puisse les frĂ©quenter jusquâĂ me les approprier, sans crainte, sans jugement. Depuis, si je suis Ă Paris, jâai un Ă©norme plaisir Ă participer Ă ses ateliers.
Emmanuelle sait Ă©couter. Je reconnais une collĂšgue, une vraie thĂ©rapeute avec une disponibilitĂ© psychique incroyable, capable dâaccueillir et dâentendre lâautre, le diffĂ©rent, le bizarre, le surprenant. Cela peut paraĂźtre pĂ©dant de ma part, mais je trouve quâelle a une Ă©thique professionnelle trĂšs trĂšs proche de la mienne. Oui, les tarologues ont une Ă©thique de travail et cela sâest encore confirmĂ© quand jâai vu, lors du Festival Tarot 2019, dâautres tarologues Ă lâĆuvre.
De quelle façon tu travailles avec le Tarot ?
Jâai une pratique assez partielle. Câest rare que je lâutilise sur ma personne. Parfois, dans lâatelier de pratique, je peux poser une question perso, mais câest vraiment rare. Et, en dehors des ateliers, il mâarrive de tirer les cartes Ă des ami.e.s.
Mon but est que la personne puisse partir plus riche, plus armĂ©e de versions dâelle-mĂȘme, avec de nouvelles perspectives. Que chaque carte soit une fenĂȘtre de changement possible. Câest pour ça que jâai du mal avec le Tarot divinatoire. Il existe le danger dâenfermer quelquâun dans lâarbitraire dâune vĂ©ritĂ© unique qui sort de sa bouche et au mieux du don du voyant-tarologue.
Le but dâun tirage, pour moi, est toujours dâouvrir, de faire voir la moitiĂ© pleine.
Tu sais, mon expĂ©rience de psychanalyste, de psychiatre et dâethnopsychiatre mâa appris que câest trĂšs facile de dĂ©molir quelquâun. Une personne qui vient consulter est en souffrance et attend beaucoup de la consultation. En gĂ©nĂ©ral et en principe, elle a dĂ©posĂ© toute sa confiance sur le professionnel qui est censĂ© savoir, pouvoir lâaider. Mais, attention ! Il y aussi une crainte qui coexiste. Justement la crainte de ce savoir, de ce pouvoir. Câest un peu comme le Pharmakon grec, mot ambigu qui dĂ©signe mĂ©dicament et poison en mĂȘme temps. Il faut savoir lâemployer, le doser. Efficace, certes, mais pour quoi faire ? GuĂ©rir ou tuer ?
Ces objets techniques que sont les cartes rĂ©veillent alors de lâespoir et de la crainte. Il faut couper le tas : avec quelle main ? la gauche ? Une tension sâinstalle et est renforcĂ©e par le fait dâavoir la responsabilitĂ© de les choisir, une Ă une, pour chaque emplacement. On remarque trĂšs souvent des hĂ©sitations, des recherches impromptues, car il ne faut pas se tromper ! comme si la vie, le destin en dĂ©pendaient. Une fois les cartes montrĂ©es sur la table, elles deviennent comme un livre ouvert qui est censĂ© dire « la vĂ©ritĂ© toute la vĂ©ritĂ© et rien que la vĂ©rité ». Autrement dit, comme si des barriĂšres ou des illusions venaient se rĂ©vĂ©ler. Comme si on venait dâouvrir quelquâun et quâon avait accĂšs direct Ă son intĂ©rieur, Ă son noyau. Ce qui est dit Ă ce moment-lĂ devient Ă©videmment fondamental. On a une voie royale pour atteindre le plus intime de cette personne. On peut lâappeler son Inconscient, son CĆur, ses Tripes⊠Ce qui est sĂ»r, câest que la personne est atteinte. Câest pour ça quâon peut aussi faire du mal, dĂ©truire. Lâenjeu vĂ©ritable du travail est alors, si nĂ©cessaire, de dĂ©construire, mais Ă la condition que dans le processus de la consultation, on puisse reconstruire, afin que la personne puisse partir avec une version utile pour continuer sa vie. Câest comme dans la guerre, oĂč tu balances une bombe, câest facile, mais le travail, le vrai, commence aprĂšs, quand il faut reconstruire et câest beaucoup plus long.
Quand tu es psy, les ami.es ont tendance Ă te soumettre des problĂšmes personnels, mĂȘme les collĂšgues ! Jâai passĂ© des soirĂ©es entiĂšres de ma vie Ă rĂ©pondre Ă des questions, Ă traiter de problĂšmes « hors cadre ». Beaucoup dâintellectualisation, des heures passĂ©es Ă papoter pour que rien ne change. La bienveillance, lâempathie, lâamitiĂ©, ont toujours primĂ© sur lâefficacitĂ© de lâĂ©change et, pourquoi pas ? Câest bien aussi dâĂ©couter les ami.es, de donner son avis, mais, trĂšs souvent, Ă quoi bon ? Combien de fois jâai Ă©tĂ© déçue, voire trĂšs triste face Ă la sourde oreille ou au « tourner en rond » sans que rien ne change. Il mâest arrivĂ©, quelques fois, de me dire : toi, mon ami, comme jâaimerais tâavoir comme patient ! Parce quâil y aurait le cadre, la technique. Les mots ne tomberaient pas dans le vide. Il arrive aussi avec un patient de tourner un peu en rond, mais le cadre, la technique, facilite, voire prĂ©cipite, la dĂ©couverte de nouveaux sens. Depuis que jâai les cartes, on abrĂšge. On sâadresse Ă elles. Le transfert sâopĂšre sur les cartes et non sur moi, jâai un cadre !
Jâai souvent les cartes dans mon sac, mais je ne les tire que si on me le demande. Je reste sur mes vieux rĂ©flexes. Mes ami.es savent que jâai appris Ă tirer les cartes, donc sâils le souhaitent, ils nâont quâĂ demander. Jâavais prĂ©jugĂ© quâils seraient sceptiques car la majoritĂ© sont des intellectuels. Mais, finalement pas du tout ! Des philosophes, des artistes, des chercheurs au CNRS, mĂȘme des collĂšgues analystes se sont assis pour « lire » les cartes Ă mes cĂŽtĂ©s. TrĂšs peu ont prĂ©fĂ©rĂ© Ă©viter lâexpĂ©rience avouant leur peur. Ce qui confirme, malgrĂ© tout, leur croyance dans le Tarot et son efficacitĂ©. Au fond, ils croient tous que ça marche, mais ils ne le crient pas dans la CitĂ©.
Je propose de poser une seule question. Implicitement ça veut dire : mais quâest-ce qui tâafflige vraiment ? ça structure dĂ©jĂ . Ils sont obligĂ©s de rĂ©flĂ©chir⊠purĂ©e ! une question ? une seule ? Oui – je dis- on la traitera ensuite en rĂ©flĂ©chissant aux emplacements des cartes, et lĂ on pourra la complexifier, la nourrir. Je construis les tirages suivant mon apprentissage avec Emmanuelle Iger. Bien Ă©couter la question du consultant est primordiale. Parfois, des idĂ©es se prĂ©figurent seulement Ă lâĂ©coute de la formulation (que je garde pour moi, Ă©videmment) et qui peuvent guider pour Ă©tayer des questions subsidiaires qui seront les diffĂ©rents emplacements de cartes. Une fois la question posĂ©e, je lâĂ©cris devant eux. Ăa donne une importance incroyable a cette question unique.
Et on se met Ă co-travailler. Je propose des emplacements surtout liĂ©s aux blocages, aux illusions possibles, et on les dĂ©cide ensemble. Je raconte toujours lâhistoire de la carte, ses significations. Jâessaye de dĂ©caler ma personne des cartes. Ce sont elles qui parlent et pas moi. Parfois il arrive quâen voyant une carte, lâinterprĂ©tation propre du consultant soit directe spontanĂ©e sans mon intervention. Les gens ont toujours des thĂ©ories sur leur vie, leur malheur⊠Ils savent sans le savoir. Ma dĂ©licatesse ici est de respecter et dâintĂ©grer leurs savoirs dans une thĂ©orie, une narrativitĂ© plus large. Les dessins des cartes sont comme des objets palpables, leur visibilitĂ© aide Ă©normĂ©ment, car il y a toujours quelque chose que les gens ne voient pas et quâon peut leur montrer, mais aussi des trucs que, nous, on nâa pas vu et quâeux nous montrent. Jamais oublier quâon a tous des points aveugles. LĂ , la surprise est fulgurante et prend sens directement avec notre intervention ou pas.
La diffĂ©rence avec nos Ă©changes amicaux Ă©ternels est Ă©tonnante. Lâeffet produit par la lecture des cartes « ensemble » (je sors parfois le livre ou les antisĂšches) nâa point de comparaison avec les discussions Ă bĂątons rompus : mĂȘme si je pouvais Ă©mettre des propositions, Ă mon sens, aigus, fins⊠ça restait rationnel, comprĂ©hensif. La lecture des cartes, elle, continue Ă agir dans le temps. Souvent ils me disent : « Comment la carte a pu voir si juste ! Je nâarrĂȘte pas dây penser ! » Une parole agissante les habite. Les cartes sont bien des objets actifs avec une logique symbolique intrinsĂšque.
Les cartes mâamusent. RĂ©ussir Ă trouver la logique dâensemble dâun tirage, câest le pied ! Surtout, si, en plus, jâarrive Ă condenser dans une phrase lâinterprĂ©tation globale de ce tirage. Un peu Ă la maniĂšre de lâinterprĂ©tation dâun rĂȘve. Si en plus ça peut rappeler un dicton, tant mieux. Câest un art ! Dans ce sens, il existe une continuitĂ© avec mon travail de psychanalyste.
TDM (Tarot de Marseille) ou RWS (Rider Waite Smith) ?Â
Pour lâutilisation que jâen fais, je prĂ©fĂšre le RWS, plus visuel pour les Mineurs. Mais jâai vu tirer seulement avec les Majeurs du TDM et jâai trouvĂ© ça magnifique ! Jâen serai incapable pour lâinstant.
Quel est ton Tarot préféré ?
Je connais de loin dâautres jeux de Tarot. Souvent les gens apportent Ă lâatelier de pratique dâEmmanuelle des jeux incroyables, trĂšs beaux. Mais je suis trĂšs satisfaite pour lâinstant de mon RWS, je continue Ă le trouver merveilleux. Il arrive quâen atelier, parfois, on lisse ces autres cartes, pour moi inconnues, et je ressens un vrai plaisir Ă dĂ©couvrir dâautres figures, dâautres dĂ©tails et donc, dâautres interprĂ©tations possibles.
Quelle est ta carte préférée ?
Le Mat !
Je le trouve assez puissant. Il nâa pas de numĂ©ro. Il peut dĂ©barquer Ă tout moment et faire dĂ©sordre. Il ne regarde pas oĂč il marche mais il y va, pour le meilleur et pour le pire. Câest un aventurier, amoral mĂȘme, nĂ©anmoins il incarne lâaudace. Aussi, il est comme le Bouffon du Roi, qui est trĂšs insolent pour dire des vĂ©ritĂ©s. Sans lui, il nây aurait jamais de rĂ©volutions, de changements !
Quel est ton oracle préféré ?
Je ne connais pas les oracles.
Penses-tu qu’on peut inviter le tarot Ă une sĂ©ance de psy (en vrai) ? Penses-tu que cet outil puisse ĂȘtre pris au sĂ©rieux par cette communautĂ© ?
Câest une question compliquĂ©e. DĂ©jĂ , il faudrait se demander si lâutilisation du Tarot peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un dispositif thĂ©rapeutique. Je pense que oui, mais avec ma courte expĂ©rience et ma pratique, trĂšs partielle, je ne me sens pas lĂ©gitime pour en dire davantage. Chaque dispositif thĂ©rapeutique a sa logique, sa thĂ©orie, sa technique qui lui est propre. Donc, moi, en tant que psychanalyste, je ne vois pas quand, ni comment, ni pourquoi, jâaurais proposĂ© un tirage. Il serait arrivĂ© comme un cheveu dans la soupe, ou dans notre jargon comme un passage Ă lâacte.
Mais ce que je peux dire câest quâune grande partie de mes analysants est allĂ©e voir des tarologues, des Ă©nergĂ©ticiens, des voyants, des chamans et ils en parlaient sur le divan. Non seulement, cela ne mâa jamais vexĂ© mais, au contraire, jâai trouvĂ© lâĂ©vĂ©nement extrĂȘmement intĂ©ressant et toujours Ă prendre au sĂ©rieux. A quel moment du processus de lâanalyse ces gens ont eu la nĂ©cessitĂ© dâaller voir ailleurs ? quel effet ça a produit ? Jâai toujours pu intĂ©grer ces consultations dans nos sĂ©ances. Voire, ça a pu dĂ©bloquer ou signifier des choses dans la thĂ©rapie. Câest mon cĂŽtĂ© Mat ! Je me souviens de deux patients sud-amĂ©ricains qui sont allĂ©s consulter Jodorowsky et ont mĂȘme rĂ©alisĂ© les rituels quâil leur aurait prescrit. Pourtant, ils ont continuĂ© leur analyse avec moi. De la mĂȘme maniĂšre que tous les thĂ©rapeutes ont des points aveugles, leurs dispositifs thĂ©rapeutiques aussi.
En tant que psychiatre, ça mâest arrivĂ© deux ou trois fois de convaincre « les Tutelles » pour que des patients trĂšs compliquĂ©s puissent aller voir leur guĂ©risseur au pays. En tant quâethnopsy, jâai pu mĂȘme travailler en consultations avec de vrais thĂ©rapeutes traditionnelles qui Ă©taient assis Ă cĂŽtĂ© de moi en tant que collĂšgues Ă part entiĂšre.
Mais en tant que psychanalyste, ce nâest pas pareil. Il ne sâagit pas non plus des mĂȘmes patients tant au niveau de leur structure psychique que de leurs appartenances culturelles.
Ceci dit, je ne sais pas comment travaillent les psychanalystes jungiens.
En Psychiatrie, il y a souvent des patients trĂšs difficiles, qui ont du mal Ă parler dâeux, avec une vie imaginaire pauvre, et dans ces cas, la question aurait pu se poser de prescrire une consultation avec un tarologue, par exemple, de la mĂȘme maniĂšre quâon peut prescrire des sĂ©ances de psychodrame, dâart-thĂ©rapie ou dâhypnoseâŠ.
Actuellement, la Psychiatrie est devenue de plus en plus biologique. Câest terriblement dommage. En MĂ©decine, il arrive dâappeler des coupeurs de feu pour soigner de grands brĂ»lĂ©s. Elle reconnaĂźt ses limites et laisse de la place Ă ceux qui ont ce don. La Psychiatrie, elle est tellement floue dans ses diagnostics et lâefficacitĂ© de ses psychotropes qui a trop peur dâautres pouvoirs. LâEstablishment considĂšre quâen dehors de la prescription de mĂ©dicaments et la thĂ©rapie cognitive comportemental, le reste est du charlatanisme, mĂȘme la psychanalyse !
2 â INTERVIEW PAR LE TAROT DE SILVIA
Toi : 5 de bĂątons
Je suis une battante, prĂȘte Ă me confronter aux autres pour dĂ©fendre mes positions.
Ta force : 6 dâĂ©pĂ©es
Je suis capable de prendre de la distance et dâavoir du recul tout en emportant avec moi ce qui me paraĂźt essentiel. Je peux donc aider les autres Ă prendre le large, Ă abandonner de situations qui leur font souffrir, Ă faire des deuils.
Ta vision du tarot : 8 dâĂ©pĂ©es
Ma crainte que le tarot puisse devenir un systĂšme de croyances limitantes. Quâil soit utilisĂ© pour enfermer le consultant dans de prĂ©dictions ou conseils lâempĂȘchant de rĂ©flĂ©chir ou de ressentir par soi-mĂȘme.
Ce que tu apportes Ă lâautre grĂące au tarot : 5 de deniers
Identifier le manque. Il deviendra moteur pour aller voir ailleurs, pour entamer le voyage intérieur.
Comment tu travailles avec le tarot : LâImpĂ©ratrice
Dans la crĂ©ativitĂ©! En prenant soin de lâautre, dans le plaisir et dans le but de lâaider Ă dĂ©velopper ses capacitĂ©s crĂ©atrices.
3 – QUE PENSES-TU DE MON TRAVAIL ?
Jâaime beaucoup ! Je le trouve assez impertinent, osĂ©, frais et trĂšs drĂŽle ! Le cĂŽtĂ© un peu insolent passe bien car la bienveillance est omniprĂ©sente. Je crois que faire intervenir un petit personnage te donne cette libertĂ© sans passer pour une arrogante. Jâaime beaucoup les formulations, toujours cash, directes, pragmatiques ! De mĂȘme que la maniĂšre avec laquelle tu manies des images, des dictons, des expressions populaires dans un franc parler imprĂ©gnĂ© de la culture contemporaine, des comics⊠ça vient dĂ©poussiĂ©rer le tirage classique. SincĂšrement, bravo !
Interview passionnante ! J’ai adorĂ© donner la parole ma Silvia. Tellement ICONIC ! C’est toujours un plaisir de passer du temps en sa compagnie. Merci d’avoir acceptĂ© cet interview mais surtout merci pour tous tes encouragements et ton soutien dans la vraie vie.
Jâai adorĂ© cet interview
Merci Ă vous 2
Merci ! BientĂŽt ton tour ? đ
Merci pour cette interview trĂšs inspirante.
Merci Ă toi pour ton retour ! J’adore Silvia et j’ai adorĂ© ses rĂ©ponses pour l’interview !
J’adore đ, une crĂšme cette Silvia !
Tellement ! Un bijou ! C’est ma mom du coeur !